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Si

SI TU PEUX voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir,

SI TU PEUX être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre;
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre,

SI TU PEUX supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot,

SI TU PEUX rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi,

SI TU PEUX méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur,

SI TU PEUX être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans jamais être moral ni pédant,

SI TU PEUX rencontrer Triomphe avec Défaite,
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête,
Quand tous les autres la perdront,

ALORS les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme, mon fils.

Rudyard Kipling (1865 – 1936)

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