Jaloux des gouttes de pluie
Qui trop semblent des baisers
Les yeux de tout ce qui luit
Sont raison de jalouser
Jaloux jaloux des miroirs
Des morsures de l’abeille
De l’oubli de la mémoire
De l’abandon du sommeil
Du trottoir qu’elle a choisi
Des mains frôleuses du vent
Ma vivante jalousie
Qui me réveille en rêvant
Jaloux d’un chant d’une plainte
D’un souffle à peine un soupir
Jaloux jaloux des jacinthes
D’un parfum d’un souvenir
Jaloux jaloux des statues
Au regard vide et troublant
Jaloux quand elle s’est tue
Jaloux de son papier blanc
D’un rire ou d’une louange
D’un frisson quand c’est l’hiver
De la robe qu’elle change
Au printemps des arbres verts
De la voir aimer le feu
D’une branche qui la suit
D’un peigne dans ses cheveux
A l’aurore de minuit
De qui donc est-elle éprise
Qu’elle porte ses turquoises
Ah la nuit me martyrise
Avec ses ombres narquoises
Jaloux en toute saison
Traversé de mille clous
A perdre toute raison
Jaloux comme un chien jaloux
Jaloux de toute la terre
Quand elle arrive un peu tard
Tous ses gestes sont mystère
Jaloux jaloux des guitares
Louis Aragon
(manuscrit original)